Préface de Latitudes féminines par le Pr Josué GUEBO.
On doit au poète Zadi Zaourou d’avoir mis à hauteur de regards, le mythe selon lequel les hommes et les femmes vivaient naguère en deux communautés séparées. Conduite par Mahiè Trokpè, la gent féminine menait une existence autarcique, complètement absente à l’idée qu’ait pu exister une communauté autre. Puis un jour, sur fond de fascination et de belligérance, survint la rencontre. Les femmes, nous dit le mythe, furent battues militairement par les hommes. Mais, ouvrières de l’intelligence et du charme, elles décidèrent de vaincre leurs adversaires, à la bataille de la durée, à la guerre du temps. Or, si telle est la parole du mythe, telle semble aussi la ligne force du florilège de pages qu’offre, dans le présent livre, Essie Kelly.
A l’artillerie de leurs intrigues, à la poudrière de leurs convictions, les femmes ici ambitionnent de redessiner les contours d’un monde manifestement mal écrit. Femmes de tous les âges, femmes de toutes les conditions, femmes de tous les tempéraments, elles entendent triompher d’une existence globalement dominée par le mâle. Pourtant, dans le ton de ces pages volontaristes, affleurent, parfois, le doute et la résignation. En témoigne cette voix fluette et blessée jetant aux commissures de la confidence, cet aveu acidulé :
« J’étais comme un chien qui bat de la queue en vain, quémandant une caresse. J’ai vécu suspendue à tes lèvres dans l’attente d’un geste d’affection, de l’expression d’un regret, d’un mot d’excuse».
Là percent, on le voit, les mots d’un amour réduit à mendier une once de regard, scandale qui semble conforter la douloureuse sentence de Simone de Beauvoir : « L’action des femmes n’a jamais été qu’une agitation symbolique, elles n’ont gagné que ce que les hommes ont bien voulu leur concéder (…) Toute l’histoire des femmes a été faite par les hommes »
Fort heureusement, l’idéologie – disons plutôt la doctrine – de08°N – 05°O Latitudes féminines parait aux antipodes de toute posture larmoyante. Dans le présent livre d’Essie Kelly, la parole des Femmes, en effet, n’est pas faite que du bois de la résignation ou du défaitisme. Contre un mâle replet d’impunité, couvé d’indolence et revêtu de complaisance, la voix sait ici porter l’étendard de la dignité. Ce timbre-là récuse les fausses valeurs de la suprématie masculine. A ces hommes faisant la guerre aux femmes par le viol des corps et des consciences, la voix forte de 08°N – 05°O Latitudes féminines oppose une attitude des plus fermes. Le message d’Essie Kelly est clair : face au mal triomphant, il n’est point question de baisser les yeux, de marmonner des excuses, des chansons ou des prières. La Femme en général et l’Africaine en particulier, est en devoir de regarder le monde dans les yeux et de s’imposer à la force de ses convictions.
Or, par-delà la thématique de la guerre des sexes, le mérite de 08°N – 05°O Latitudes féminines tient aussi grandement de son analyse du rapport à l’argent, à l’avortement et au suicide. Chez Kelly, la prostituée n’est pas que sexe. Elle aussi besoin de reconnaissance, attente d’attention qu’une expression d’indifférence peut faire basculer. Même vénale, la femme reste conscience. Ainsi en est-il donc de l’avorteuse clandestine. Par ses objets ensanglantés, l’avorteuse, chez Kelly, réajuste le portrait d’un monde paradoxal où parfois l’attente inconséquente de la vie reste la promesse la plus sûre de la mort. L’argumentaire coule de source, polémique et implacable :
« Les gens n’ont pas le droit de juger, qu’ils laissent à Dieu le soin de le faire. Ils peuvent bien brandir ces lois absurdes qui nous refusent le droit de disposer librement de notre corps mais ils ne sont pas à notre place ».
Le présent recueil est a priori un plaidoyer, pour que la femme cesse d’être le souffre-douleur ou la parenthèse ludique que s’offre une conscience pervertie de la masculinité. Mais ces pages sont surtout un réquisitoire contre l’indifférence, un cri subtil contre la pire des tortures, celle qu’inflige le silence de l’être aimé. Au baiser de givre de l’insensibilité, Essie Kelly oppose l’étreinte égalitaire, pour qu’en l’homme meurt l’animal et qu’au mâle succède enfin le bien, c’est-à-dire la duale de la femme : sa face complémentaire, son âme gémellaire.