La place des personnages féminins dans le roman africain

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Battante, rebelle, aventurière, parfois victime …la représentation de la femme dans le roman africain allie souvent fantasme et réalité, mais contient toujours une part de vérité, une part de notre histoire. À la lumière des écrits, repassons ensemble les différents portraits de la femme africaine et interrogeons-nous sur sa place actuelle et son rôle dans la société.

La littérature africaine étant riche, j’ai fait le choix de porter l’analyse sur des romans africains d’expression française et plus précisément sur des ouvrages d’auteurs de l’Afrique de l’Ouest notamment de la Côte d’Ivoire et du Sénégal dont les oeuvres abordent de façon frontale la position de la femme dans la société africaine avec lucidité sans pour autant tomber dans un féminisme exacerbé ou une victimisation subjective.

Bibliographie :
-Simone Kaya, les danseuses d’impé-eya
-Ken Bugul, le baoba fou
-Véronique Tadjo, le royaume aveugle
-Régina Yaou, Ehui Anka ou le défi aux sorciers -Khadi Hane, le collier de paille
-Mariama Ba, une si longue lettre

Le choix d’auteurs exclusivement féminins n’est pas anodin non plus, il s’agit ici d’un rassemblement d’auteurs de renoms dont la parole s’est fait au fil du temps plus agressive, plus revendicatrice, sous un mode d’auto- représentation toujours plus élaboré. Si certaines ont opté pour un discours autobiographique dans leurs ouvrages comme Ken Bugul, auteur dite féministe, car elle ne se définit pas nécessairement ainsi elle-même, d’autres on préféré la fiction comme Véronique Tadjo ou encore Simone Kaya.

Des femmes donc pour parler des femmes parce que l’on note une différence entre leurs discours et celui des hommes. Les femmes ne prétendent pas prendre en charge le devenir d’une société, mais amènent à la réflexion sur le moi et le vivre féminin d’abord.Les personnages féminins dans le roman africain, ne sont pas des prétextes à aborder des questions essentiellement féminines mais servent au contraire a parler de problématiques que rencontrent une certaine génération à une époque donnée.

-> Commençons par l’ouvrage de Simone Kaya, qui est la première romancière ivoirienne. Son oeuvre est paru en 1976. Il s’agit des Danseuses d’Impé-eya. Ce roman relate l’enfance scolaire et citadine d’une fillette dans la Côte d’Ivoire pré-indépendante.

->Ken Bugul appartient aussi à cette tranche d’auteurs qui mettent en scène des personnages féminins libérés. Ses romans sont purement autobiographiques et son discours s’inscrit bien dans la vague du roman féminin des années 80 dans lequel on retrouve des plumes rebelles face à une société jugée trop patriarcale. Les écrivaines issues de cette période s’affirment et sont décidées à sortir la femme africaine de ce statut de inférieur qu’on lui confère souvent et la prive de ses droits. On retrouve alors des personnages féminins plus puissantes, et qui n’ont plus uniquement soif de liberté mais vont au devant de cette liberté et s’en empare.

Ainsi dans le baobab fou, ouvrage autobiographique de Ken Bugul, elle y relate  l’histoire d’une petite fille qui grandit loin de sa mère dans un petit village du Sénégal, dans le Ndoucoumane.  Elle y raconte l’enfance de la dernière née d’une famille nombreuse puis sa dérive lorsqu’elle part faire ses études en Europe. Attirée par tous les vices : drogues, prostitution et alcool, l’héroïne va connaitre en Belgique une existence chaotique, possédée par un désir ravageur de ne s’imposer aucune limite et de l’envie de tout expérimenter. Cet ouvrage aborde aussi la liberté de la femme à mener une existence libre et décadente, une existence telle qu’elle le souhaite.

On constate, dans de nombreux ouvrages de ces deux dernières décennies, que les plumes se libèrent. Les personnages féminins dans les romans africains s’affirment. Qu’il s’agisse de Calixte Beyala ou encore de  Veronique Tadjo, le lecteur découvre des personnages perturbées entre tradition et modernisme.

-> Dans le  roman épistolaire de Mariama Bâ :  le personnage principale :  Ramatoulaye écrit une lettre à sa meilleure amie alors qu’elle est en réclusion traditionnelle suite au décès de son époux. Dans ce courrier, elle se livre tout entière abordant la question de la condition de la femme sénégalaise avec une sincérité troublante. On découvre dans ce livre plusieurs portraits de la femme africaine qui lutte avec énergie pour se révéler à elle-même et se consolider malgré les affres de la vie.

-> L’auteure ivoirienne Régina Yaou dans son ouvrage Ehui Anka ou défi aux sorciers aborde par la voix de son personnage principale, le choc social d’un pays dans lequel richesse et misère se côtoient au quotidien sans jamais se voir. Elle pointe du doigt le déséquilibre qui a apparu après l’indépendance en Afrique. Un regard féminin donc qui ne s’intéresse pas qu’à la cause féminine mais qui voit impuissant une classe nantie remplacer peu à peu celle des colons au détriment des plus démunis qui ne voient aucuns bénéfices de l’acquisition de l’indépendance de leurs Etats.

-> Dans le royaume aveugle de Véronique Tadjo, le ton est aussi moralisateur. C’es l’occasion de dénoncer la dictature en dressant le portrait d’un roi autoritaire qui dirige son pays d’une main de fer en multipliant les injustices. La cécité est une métaphore pour illustrer l’égoïsme d’un régime qui n’a pas conscience du mal qu’il cause en monopolisant le pouvoir et en oppressant sa population. Le colonisateur est présent, on le devine entre le ligne, s’il n’agit pas directement, il est pourtant bien présent car les actes qu »il a posé sont des conséquences néfastes qui se distillent dans le temps. Akissi, fille du roi est un personnage qui apporte un peu de légèreté à une atmosphère oppressante. Libre et oisive, elle mène sa vie comme elle l’entend et mène une sexualité très éloignée des codes patriarcales que son père aurait aimé qu’elle suive. C’est en fait le seul réel opposant à son pouvoir asphyxiant.  Contester l’ autorité  de son père, s’est aussi se dresser contre son pouvoir dévastateur.

À la vue de ces portraits de femmes, fortes et regardant la vie sans oeillères, trois questions me viennent à l’esprit :

-Quelle est la place de la femme en Afrique aujourd’hui, mais aussi quel est l’impact de tels portraits sur la femme, pour autant qu’elle y ait accès?

-Quel est le poids de la tradition dans la liberté de la femme? Est-il possible d’allier tradition et indépendance, liberté?

 


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