La première fois

La première fois, il y avait cet étau qui me serrait la gorge mais j’avais la tête froide. Après des semaines de travail, je me rendais enfin à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (la MACA).  J’avais rendez-vous avec le régisseur de la prison  pour lui parler du projet que je porte depuis maintenant deux mois : l’organisation d’ateliers de littérature en prison pour les détenues.
Si j’ai choisi pour cible les femmes, ce n’est pas par une affinité induite par mon genre mais parce que je sais que les femmes constituent une population minoritaire dans les prisons. J’avais envie d’aller vers elles, et de pouvoir rencontrer les détenues par petits groupes afin d’avoir des discussions et des débats de qualité.
La littérature comme outil pour contribuer à la réinsertion des femmes: une utopie pour certains, un défi pour moi. 
Rencontrer le régisseur de la MACA était la dernière étape que j’avais à franchir avant de pouvoir débuter les ateliers de littérature. Et pourtant, c’est alors que devait se dérouler la première rencontre avec un groupe de détenues que j’ai eu le plus d’appréhension.
La première fois, sur le chemin me menant à Yopougon, quartier où est située la maison d’arrêt, je me sentais crispée. Je me suis accrochée à mon volant et j’ai conduit machinalement sans vraiment voir la route. Et plus je me rapprochais de ma destination, plus le flot de questions que je me posais s’intensifiait. Ma préoccupation principale était certes l’intérêt que pourrait représenter ce type d’atelier pour les femmes détenues, mais la question qui me taraudait était comment les captiver. J’avais écrit un mémoire dans lequel j’avais présenté l’intérêt de ma démarche, mais entre écrire et convaincre il y a tout un monde.
Le souffle court, la bouche sèche, je me suis convaincue que la meilleure manière de procéder était d’être simple, naturelle et spontanée. Les doutes sont des pierres lourdes qui nous lestent. Je pensais m’en être débarrassée quand je me suis garée devant la prison. Mais à peine avais-je donné mon autorisation spéciale au garde pénitentiaire à l’entrée de la prison que j’ai été submergée à nouveau par le stress. Peut-être est-ce le fait de devoir me délester d’une partie de mes affaires et de les laisser à la consigne? En un instant j’ai dû remettre mon téléphone portable, toute pièce d’identité ou carte munie d’une photographie, mon chargeur et mes écouteurs. Un petit morceaux de bois carré, vieillot, avec inscrit dessus un chiffre m’a été donné en échange. Et pendant qu’on procédait à une fouille minutieuse de mon sac à main et des colis que j’avais emmenés, j’ai subi une palpation. Je ne m’y attendais pas. Au premier abord ça m’a inspiré un climat de suspicion. Après réflexion j’ai apprécié cette rigueur. Je me suis faite à l’idée que ce serait comme ça à chaque fois que j’y viendrai. J’ai saisi que la sécurité est une question centrale en prison et jamais je n’ai eu la moindre crainte pour ma personne.
Je me suis rendue au bureau des travailleurs sociaux et quand j’ai vu leurs visages amicaux je me suis sentie mieux, apaisée. J’avais déjà rencontré certains d’entre eux à la Direction des Affaires Pénitentiaires. Ils savaient pertinemment pourquoi j’étais là et dans leur regard j’ai senti un soutien. Et j’ai su que malgré le stress j’étais prête à rencontrer ces détenues que j’avais hâte de voir. Prête à contribuer pour donner une nouvelle dynamique à ce passage difficile qu’est la détention.

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