QUE SIGNIFIE LA LITTÉRATURE DANS UN MONDE QUI A FAIM ?

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La rencontre du 12 mai 2014 s’est donc passée autour d’une réflexion que Jean-Paul Sartre fit lors d’une interview qu’il donnait en 1964 : « Que signifie la littérature dans un monde qui a faim ?».

C’est une interrogation qui s’ancre dans l’actualité bien qu’elle date d’une cinquantaine d’années.  C’est une question que bon nombre d’auteurs se sont posé tout au long de leur carrière à savoir quelle est l’utilité de la littérature face aux maux de l’humanité ?

La littérature est-elle une clef qui est capable grâce à la plume d’écrivains d’ouvrir des portes qui mènerait à des solutions qui permettrait de faire avancer et changer les choses, ou demeure t-elle une futilité que peuvent seuls se permettent ceux qui ne sont pas tiraillés par la faim, accablés par les guerres, emportés par les génocides et épidémies ?

Si les débats se sont orientés vers les ouvrages d’auteurs africains, nous n’avons cependant pas omis que les grands maux de ce siècle ne sont pas l’apanage de l’Afrique. Partout dans ce monde, divers peuples connaissent l’effroi des guerres, des maladies et de la famine. Raison pour laquelle de nombreux auteurs de part le monde se sont fait l’écho de la détresse qui touchait la société dans laquelle ils vivaient.

L’écriture est bien plus utile que mille fusils réunis et permet d’éveiller les consciences. L’avilissement d’une population est possible par la famine, par les persécutions mais aussi en la privant de culture et d’éducation. Et nous avons besoin en Afrique, où une grande partie de la population est illettrée de l’intéresser au monde du livre afin qu’elle se ranime et prenne conscience d’elle. L’éducation est un des plus grand facteur de développement. Une population éduquée, qui s’interroge, se remet en question et va à la quête de l’information est une population en marche vers l’évolution. La stagnation intellectuelle quant à elle est le déclin d’une société qui se complet dans sa végétation.

Nous avons besoin sur ce continent de davantage de livres que d’armes. Car la littérature dénonce tandis que la violence stigmatise, la littérature libère tandis que la barbarie opprime, la littérature perpétue tandis que la brutalité dévaste.

Si souvent certains écrivains ont clamés leur impuissance face à la détresse humaine en se demandant comment leurs œuvres pourraient aider l’humanité, ils ont en parler avec courage et sans ambages. Bien qu’ils aient conscience que dans certains pays touchés par une crise profonde, entre s’acheter un livre et subvenir à des besoins plus pressants le choix des Hommes est naturellement axé sur la subsistance. Cependant, les livres peuvent être des « pistolets chargés » comme l’affirmait Brice-Parain. Ecrire permet révéler à notre société ce qui se passe et de ne pas laisser les choses qui nous révulsent dans l’ombre coupable de l’indifférence.

L’Afrique a connu et continue de connaître des écrivains engagés. Des auteurs comme Emmanuel Dongala avec son ouvrage « Un fusil dans la main, un poème dans la poche » s’est enrôlé avec des mots dans une guerre contre les maux. Et il n’est pas évident sur un continent dont les Etats ont bien souvent une idée évasive de la notion de liberté d’expression de se faire le porte flambeau de la libération du peuple Africain. J’entends par l’accès à de nombreux droits fondamentaux dont il est privé. Ainsi, Wole Soyinka, poète Nigérian fut emprisonné pendant la guerre du Biafra, qui causa une immense famine, pour avoir prit position en faveur du peuple.  Mongo Béti auteur camerounais a aussi dénoncé l’oppression du peuple Africain par la colonisation dans des œuvres telles que « Le pauvre Christ de Bomba » parut en 1956 ou encore « Main basse sur le cameroun autopsie d’une décolonisation » parut en 1972. Ce dernier ouvrage fut d’ailleurs interdit par arrêté du ministre de l’intérieur de l’époque sur la demande de Jacques Focquart. Encore, on ne pourrait oublier Jean-Marie Adiaffi qui dans une œuvre sans concession intitulée « Galerie infernale » nous dépeint un peuple Noir prisonnier de chaines qu’il n’a su ôter et ne résument pas à des reliques de l’esclavage. Un peuple prisonnier de son ignorance, de sa soumission, grevé des multiples infirmités. Par ces métaphores poétiques qui n’enlèvent rien à la virulence de ces propos il nous fait suivre la route d’un peuple pourtant en quête de lumière qui donne confiance et espoir.

Mais à présent quels auteurs se dressent sur le front brandissant dans leurs mains leurs œuvres martiales afin de défendre l’humanité ?

Josette Abandio, auteure ivoirienne nous a fait remarquer au cours du débat que dans chaque œuvre il y a une forme d’engagement prise par l’écrivain. Les ouvrages ne sont jamais neutres et comportent toujours un message que certains perçoivent mais que d’autres ignorent. Cela dépend souvent de la plume de l’auteur mais aussi de la sensibilité du lecteur. Quoiqu’il en soit, il est nécessaire d’éduquer la population afin qu’elle sorte de sa torpeur et s’intéresse à des domaines qui la feront s’élever.

Il est vrai, comme nous l’avons soulevé lors des débats, que la majorité de la population en Côte d’Ivoire est plus enclin a participé à des événements festifs qu’à des événements où elle pourrait apprendre, s’affirmer et faire entendre sa voix afin de participer à l’évolution d’un continent Africain en plein essor. Mais hélas, force est de constater qu’un domaine comme celui de la littérature ne bénéficie pas des mêmes moyens, ni du même engouement que celui de la musique par exemple.

Sans jugement aucun, un participant qui travaille dans l’édition s’est intéressé à la qualité de l’écriture en pointant du doigt le fait que les ouvrages les plus vendus en Côte d’Ivoire sont ceux qui font le moins appel à l’intellect du lecteur. Des livres très simples donc, écrits parfois de façon maladroite que la masse consomme gloutonnement.

En se plaçant du côté des éditeurs on comprend leurs motivations à éditer ce genre. Mais en adoptant une vision plus critique, il faut admettre qu’il est indispensable d’offrir aux lecteurs un contenu qui lui permette de s’émanciper.

L’engagement c’est peut-être aussi en tant qu’auteur de fournir un contenu valable à des lecteurs trop longtemps habitués à des histoires frivoles en leur soumettant des personnages d’une certaine grandeur auxquels ils peuvent s’identifier, et qui leur donnent envie de fuir cet état de végétation intellectuelle et citoyenne.

Sam Tchak, auteur togolais s’étonnait lors d’une interview qu’on lui dise que les auteurs africains de la nouvelle génération sont individualistes. Qu’il semblerait aussi qu’ils aient cessés d’être la voix de leurs peuples tandis que l’Afrique est toujours en proie aux mêmes atrocités, qui parfois revêtent une cruauté décuplée !

Sa réponse est à mon sens le reflet d’un Homme qui s’interroge sur la portée du message qu’il voudrait transmettre dans ses œuvres. Il se demande ainsi quelle portée pourrait avoir la voix d’un auteur sans notoriété ? Et même d’une centaine d’auteurs sans notoriété réunit pour dénoncer les affres de la vie?

Mais encore, il a regretté le fait que « le rôle social et politique de la littérature semble aller de soi lorsque les auteurs viennent de pays à problèmes, mais aussi sont perçus ou se définissent eux-mêmes comme porte-parole des sans voix ». Ceci apparaissant à ses yeux comme un fardeau.

Je me demande alors si l’écrivain issu d’un pays du tiers monde à une dette envers sa société. Doit-il nécessairement la mettre au service de la société en prenant des risques tels que la censure ou l’emprisonnement parfois la mort dans les pays les plus oppresseurs. Ou a t-il le droit d’offrir un répit, un bref instant de plaisir et de distraction à ses frères afin de leur permettre de fuir un quotidien morose ?

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4 réflexions sur “QUE SIGNIFIE LA LITTÉRATURE DANS UN MONDE QUI A FAIM ?

  1. Résumé et analyse pertinentes. La littérature dans nos pays est très clairement la clef de l’émancipation intellectuelle, de la fin du complexe et le début du développement.
    Sans vouloir être défaitiste, et abordant une question parallèle, je pense pour ma part que la survie de la littérature dans un pays comme la civ ne viendra pas par la qualité des œuvres mais par la rééducation des masses à travers les outils d’influence des masses tels la télévision publique.
    L’époque dorée de la littérature en civ remonte à une période où l’intérêt des pouvoirs publics pour l’enrichissement intellectuel transparaissait à travers cette télévision nationale. Nul besoin de revenir sur les contenus qui étaient proposés.
    L’on note par contre depuis environ 20 ans une orientation prononcée vers le divertissement, qui produit 2 effets:
    – La relève lit moins
    – lorsqu’elle lit, elle est plus intéressée par les contenus divertissants, prolongement de l’ambiance générale.

    Il en ressort que seuls les rares individus ayant la chance de grandir dans un environnement aseptisé de cette tendance, ont un penchant pour la littérature, de surcroît enrichissante.

    Bref un sujet intéressant pour lequel plusieurs pistes sont envisageables.

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