Je n’avais jamais entendu parler des escales littéraires organisées par la célèbre chaine d’hôtels Sofitel jusqu’à ce que l’Hôtel Ivoire d’Abidjan soit repris par celle-ci. Ayant décidé de jeter momentanément l’ancre dans la lagune ébriée, ce concept littéraire novateur, qui n’en est pas à sa première édition, nous proposais de rencontrer Denis Labayle, médecin et auteur.
Munie de mon précieux sésame, le 25 avril 2014, ,je pénétrais dans une grande salle à l’atmosphère feutrée et à l’éclairage tamisé. Installés dans des petits salons, les invités triés sur le volet discutaient à voix basse augmentant l’impression d’intimité qui se dégageait de cet endroit. Peu de monde à cet évènement, mais y’ a t-il besoin d’être entourée d’une foule pour discuter de littérature? Je ne crois pas. La nourriture intellectuelle est une denrée dont peu d’âmes sont hélas en quête. Et comme en toute chose, la qualité est toujours plus importante que la qualité. Mieux vaut quelques passionnés de littérature, qu’un essaim de badauds forcés à venir remplir leur crâne de mots qu’ils auront tôt fait d’oublier une fois chez eux.
Assise dans un confortable canapé, j’écoutais avec intérêt Denis Labaye nous présenter son dernier livre: « Noirs en blanc ». Mais mes pensées ne cessaient de se tourner vers le principe de ces escales littéraires qui me laissaient rêveuse. En effet, lorsqu’un auteur est reçu dans un pays pour y séjourner, il a pour mission de s’inspirer de ce lieu et d’écrire une nouvelle qui sera ensuite publiée dans Le figaro. Et je me demandais alors quels souvenirs Denis Labaye garderait-il de ce terre d’Eburnie et quelle histoire pourrait-elle lui inspirer? Si je n’ai pas encore à ce jour la réponse, je brûle cependant d’envie de me plonger dans cette nouvelle dès qu’elle sera publiée.
A cet instant, il s’agissait de découvrir l’ouvrage « Noirs en blanc » et je renonçais à mes spéculations pour mieux en saisir le contenu. Noirs en blanc est une métaphore qu désigne les médecins issus de l’immigration exerçant à l’étranger, notamment en Europe. C’est un roman qui traite de la fuite des cerveaux et qui explique les raisons qui poussent certains étudiants étrangers à rester dans le pays où ils ont étudié afin de s’y installer de façon définitive. Décision qui n’est pas sans conséquence pour le continent Africain dont la plupart sont issus car ici nous manquons cruellement de médecins et de spécialistes. Et si nous sommes nombreux à regretter qu’il faille souvent aller sous d’autres cieux afin d’ effectuer une opération qui nécessite l’exercice d’une certaine spécialité, ou parfois même des examens médicaux, on ne peut pour autant blâmer ceux qui font ce choix.
Il y’a près de 25.000 médecins étrangers en France et presqu’ autant en Angleterre et en Allemagne.Ces dernières années environ 16.000 médecins et infirmières ont quitté l’Afrique pour l’étranger et bien-sûr cela créer un vide. C’est un constat alarmant que Denis Labayle fait : 45% de médecins Camerounais n’exerceront pas dans leurs pays, tandis qu’au Sénégal c’est 35% d’entre eux et en Sierra Léone 65%.
Et s’ils sont si nombreux cela s’explique par la médiocrité du salaire proposé dans le pays d’origine mais aussi par les conditions de travail. Et bien souvent dans nos hôpitaux, nous manquons du matériel le plus élémentaire.
Ce qui touche dans cet ouvrage, c’est qu’il est composé d’anecdotes et d’histoires vécues. L’auteur nous présente trois étudiants dont le profil est différent mais dont la vision des choses face à l’implacable réalité quant à un éventuel retour à leur pays d’origine se rejoint. L’inéluctable différence de salaire et la précarité qui s’annonce ne peut que les persuader de rester dans un pays où ils se sentent intégrés, où ils ont leurs repères et qui leur donne la possibilité d’exercer un métier en bénéficiant d’une rémunération juste et en rapport avec leur niveau d’étude.
Toutefois, le regard de l’auteur n’est pas si sombre. Et il est vrai, comme le souligne Denis Labaye, que lorsque la santé sera une priorité pour nos gouvernements alors les choses changeront. L’Afrique à soif de développement mais cela ne pourra se faire si le secteur de la santé est en déclin. Car même avec le meilleur projet économique on ne peut pas faire avancer un pays peuplé que de cadavres. Il est indispensable que les mentalités changent et que ce secteur soit enfin développé car c’est en permettant aux acteurs de la santé de gagner leur vie décemment qu’ils exerceront leur métier avec amour d’une part, mais d’autre part que les médecins et chirurgiens de la diaspora reviendront chez eux pour sauver des vies mais aussi partager leur savoir.
Essie Kelly